Ce qui reste du palais du haut commandeur de Sparte Emergeant lentement de l’obscurité que j’avais appris à conquérir au cours d’une éternité passée dans les ténèbres, je me retrouvais alors jeté sur les rives d’une terrible réalité par la vision de ce qu’était devenu le sombre séjour depuis ma défaite il y a maintenant plus d’une décennie.
« Les enfers ! Mon royaume ! »Le temps ne les avait pas épargnés, pas plus que la vindicte de mes ennemis. Ce qui auparavant était même dans sa simple conception le cauchemar de tout esprit conscient n’était même plus aujourd’hui l’ombre de lui-même.
Là où jadis s’étaient élevés les neuf cercles concentriques des prisons infernales, ne se trouvaient maintenant plus que ruines et terres éventrées, défraîchies, laissées à l’abandon, tandis qu’ici et là, les damnés erraient dans le chaos le plus total, ballottés par les vents infernaux naissant de la rencontre de l’air glacial du Cocyte et les bourrasques brûlantes du lac de sang.
Quelle déchéance, quel déshonneur. Ce qui fut jadis le plus grand des royaumes terrestre était devenu un champ de ruine !
« Pas pour longtemps… »J’avais encore mon plein pouvoir à retrouver certes, mais je n’étais pas pour autant impuissant. J’avais jadis bâtit ce royaume à partir des ténèbres et de la nuit, et je le referais aujourd’hui si nécessaire.
Ce fut alors que je m’avançais vers les profondeurs du sombre empire que dans le cosmos ambiant, parmi ceux des légions de damnés qui m’accueillirent de leur malédiction, de leur suppliques et de leurs pathétiques assauts voués à l’échec, je ressentis au loin celui de celle qui seule parmi toutes avait su entrevoir comme moi la beauté des ténèbres, et le réconfort de la nuit.
« Corée ? »Mes sens m’abuseraient-ils ? Etait-elle donc vraiment revenue après tous ces siècles loin de moi ? Loin de tout et de tous ?
« Ma dame… Ma reine… »Oui, son cosmos ne pouvait mentir, c’était bien elle qui encore en cet instant s’évertuait à maintenir le sombre empire sur pied de ses pouvoirs printaniers.
« Corée… Vous vous acharnez en vain. Ici la nature n’a pas sa place. Ici, la vie est anathème. »La savoir ainsi donner jusqu’à son ichor pour faire pousser ces arbres démesurés et cette végétation luxuriante était en soit un spectacle des plus remarquables, mais aussi des plus pathétiques. Même après tout ce temps passé aux enfers, elle s’acharnait encore à vouloir faire de ce monde une terre fertile où la vie pourrait s’épanouir comme à la surface.
« Vous n’avez pas changé, en dépit des siècles qui nous sépare de notre première rencontre, vous êtes encore la même fille de la nature qu’autrefois, du moins cette partie-là de vous… »Me rappelant alors les souvenirs lointains de notre première rencontre sur Terre, je fermais les yeux et souris en la revoyant courir dans les bois parmi les fleurs et les animaux de la forêt, avec cette cosmo-énergie qui immédiatement éveilla en moi quelque chose que j’avais toujours crus ne même plus posséder.
*Moi qui avais beau tenir l’Humanité au creux de ma main, moi qui possédais tant et tant de richesses qu’elles dépassaient même l’esprit le plus fou. Je ne pouvais déjà plus me l’ôter de l’esprit. Au premier regard, j’étais déjà sous son charme… Voilà bien des éternités que je n’avais plus ressentit pareil désir pour quelque chose. Quelle devait alors être ma conduite ?*Je l’avais ainsi épié des jours durant, restant dans les ombres, fuyant le soleil et sa lumière maudite comme la peste, tandis qu’elle s’épanouissait dans ses rayons en chantant. Avec le temps, je compris qu’elle exerçait sur moi cette fascination parce que son âme était pure. Plus pure que tout ce que j’avais jamais pu ressentir auparavant… Elle était la plus belle chose que j’ai vue de mon éternité. Je devais la faire mienne, et pour cela, je devais la séduire, la courtiser, changer sa vision des choses, l’hypnotiser, pour au final, la libérer et la faire pareille à moi.
Les premiers jours qui suivirent son enlèvement furent pour moi autant un pur délice qu’un supplice innommable. Elle qui avait toujours était habituée à la lumière, à la nature, à la vie, se retrouvait maintenant emmurée dans la noirceur et la mort des enfers avec ma personne pour seule compagnie. Elle avait criée, pleurée, elle m’avait maudit mainte et mainte fois. Avait refusé de se nourrir ou de m’adresser la parole, elle s’était enfermée dans le noir en se lamentant silencieusement de la lumière du soleil pendant des jours durant lesquels j’étais resté à ses chevets, à l’observer parfois sans qu’elle le sache, à épier ses moindres souffles, ses moindres gestes, fasciné et fou amoureux que j’étais déjà d’elle…
Je me souvins alors des présents que je lui avais offerts. Des robes, des bijoux, d’innombrables richesses issues des entrailles de la Terre. De sublimes gemmes sombres dans lesquelles avaient été enchâssées les âmes les plus pures et les plus sublimes du genre humain pour leur donner cette brillance incomparable… Des présents qu’elle avait d’abords acceptés avec ravissement, émerveillée par leurs beautés et leurs finesses, avant de réaliser qu’ils venaient de moi.
Je me souvins de ses rejets, coup sur coup, jours après jours, mois après mois, elle m’avait repoussé. Si je ressentais envers elle une attirance que je n’avais jamais éprouvé envers quoi que ce soit d’autre, si en mon ventre avait naquis une sensation encore étrangère, cela semblait devoir demeurer à jamais à sens unique. J’avais beau faire de mon mieux pour la séduire, pour la libérer de sa naïveté, de son innocence, elle tenait bon. Malgré la faim et mes efforts les plus sincères, elle me tenait tête, refusait de m’obéir et me défiait ouvertement, gardant l’espoir de sa future libération, ce qui avait le don de me mettre hors de moi, au grand malheur des malheureux qui croisaient alors mon chemin.
Dire qu’à l’époque, j’avais cru que personne ne m’avait vu l’emmener… J’avais pourtant prit mille précautions. Aucun animal, aucun homme, aucune muse, aucune dryade ne nous avait vu, il n’y avait pas même un souffle de vent à nos côtés lorsque dans un voile de ténèbres, je l’avais enlevé à sa couche florale alors que l’aube pointait à l’horizon. Je nous avais crus parfaitement seuls, mais c’était sans compter sur Hélios…
Ce fut lui, encore et toujours lui, qui me dénonça à Déméter, maudite puisse-t-elle être à jamais, qui vint alors me trouver pour exiger la libération de sa fille, chose que je lui refusai avec un plaisir immense. Impuissante et vindicative, elle fit alors comme ses semblables Olympiennes, et fit chanter mon traître de petit frère en prenant la Terre entière en otage tant que sa fille ne lui serait pas rendue.
La voir ainsi, elle si généreuse, elle clamant haut et fort à qui voulait l’entendre les vertus de la compassion et de l’amour, affamer la Terre et l’humanité tout entière était un spectacle plus savoureux encore que le plus doux des nectars, et riant aux éclat du plus profonds des enfers devant l’afflux soudain de victimes des famines qu’elle provoquait, je ne perdis pas l’occasion de montrer à sa fille chérie les exploits de sa très chère mère.
*La vertu n’est qu’une illusion Corée. Nous sommes tous des bêtes vouées au mal. Au fond, ces murs de bonté, de droiture, d’honneur, il suffit de savoir où appuyer pour les faire tomber. Seuls nos désirs commandent et contrôlent nos actes. Telle est la véritable nature de l’univers. Telle est notre véritable nature. On la nie, on la rejette, on la dissimule, mais ce n’est que faux semblant, ce n’est qu’illusion. Et la seule manière de survivre dans un tel monde, c’est de l’accepter. Comprenez-vous maintenant ? Je ne suis pas un monstre, j’ai simplement prit les devants.*Petit à petit, mes mots faisaient leur chemin dans le cœur et l’esprit de la fille de la nature. Mais le temps passant, Zeus lui-même en vint à exiger que je rende Corée à sa mère. Ayant à cœur la sauvegarde de la Terre et de l’humanité dépendant des récoltes, mon petit frère fini par céder face à l’égoïste chantage de Déméter. Et bien que pour ma part, voir l’humanité périr à petit feu tandis que je conservais l’unique amour de ma vie était une idée des plus plaisantes, face au pouvoir du Keraunos, il ne pouvait y avoir de victoire, pas même pour moi. La mort dans l’âme, je dus obtempérer.
Me résoudre à devoir ainsi me séparer de celle dont la simple présence était pour moi d’un réconfort sans nom fut la plus difficile des décisions que j’eus jamais à prendre, et je crus sur le coup sentir mes entrailles se déchirer de douleur. J’aurai alors massacré des mondes entiers pour pouvoir la conserver près de moi. J’aurai noyé l’univers dans des océans de sang humain et divin pour encore un seul instant avec elle. La perdre maintenant que je savais l’aimer plus que tout était un coup du destin que je me promis de contrecarrer. Il devait y avoir un moyen, il y avait toujours un moyen.
J’étais le dieu des morts et de l’éternel séjour. J’étais le dieu le plus crains de toute ma nombreuse famille, celui auquel aucun humain qu’il soit roi ou mendiant ne pouvait échapper. J’avais passés avec eux plus de pactes que Zeus n’en pourrait jamais compter, et j’en avais appris une vérité insoupçonnée des Olympiens. Tout le monde avait son prix. Qu’ils soient Homme ou dieu, il suffisait de trouver ce à quoi ils tenaient le plus pour ensuite pouvoir les contrôler corps et âmes. Cela avait marché d’innombrables hommes devenu des spectres, cela avait marché pour Hypnos et son jumeau, alors il n’y avait pas de raisons que cela échoue avec Corée.
Et ce fut lors de notre dernier repas passés ensemble, où feintant de simplement vouloir converser une dernière fois avec elle, je lui servis un verre de nectar en y ajoutant à son insu ces fameux pépins de grenade qui une fois en elle, la lierait à jamais à mon royaume et la forcerait à y demeurer au moins 6 mois par ans. J’avais pour cela fait appel à un enchantement si ancien et si puissant que même Zeus l’orgueilleux n’y put rien changer, et que même son pouvoir soit disant infini ne sut défaire ce que j’avais ainsi fait. Une leçon qu’il ne devait jamais oublier...
Car, malgré toutes les tentatives de Déméter pour libérer sa fille de mon enchantement, malgré toutes les menaces que je subis alors de sa part et de celle de Zeus, rien n’y fit. J’avais gagné. Corée était maintenant mienne, à jamais.
Et les années passant, la peur et le dégoût que je lui inspirais finirent par céder la place à la fascination, puis au désir et à la luxure. A force de paroles ensorcelantes, de gestes d’attentions, de présents, je parvins à la séduire, à la changer, jusqu’au plus profond d’elle-même. Je la voulais pour femme, je la voulais pour reine, je la voulais à mes côtés, régnant avec moi sur les morts et les enfers, et elle n’y fut pas insensible. Petit à petit, elle s’acclimata à son nouveau séjour. Son regard effarouché se fit curieux, fasciné, complice, puis aimant. Ses cheveux bruns devinrent noirs comme les surplis infernaux. Sa peau de miel devint blanche comme les neiges éternelles du Cocyte. Son innocence céda la place à un vice consommé tandis qu’à mon plus grand plaisir, elle se teintait de ma seule couleur pour devenir une autre, fondamentalement différente de celle qu’elle fut à notre première rencontre. Corée, la fille de la nature, n’était plus, Perséphone, la sombre impératrice était née…
« Il est temps pour moi de vous faire revenir, ma dame. »Corée avait fait son temps. Déméter l’avait abandonnée, tout comme Zeus l’orgueilleux. Et alors que pas à pas, je diffusais mon pouvoir jusqu’au plus profonds des entrailles de mon royaume pour le rebâtir pierre par pierre, je vis avec satisfaction autour de moi l’arche d’entrée se régénérer, les prisons se reconstruire, les damnés se faire emporter par les ombres puis jeter au sein de leur geôles respectives.
Oui, j’étais de retour, et dans peu de temps, en même temps que leur empereur, les enfers renaîtraient.
Vers ma dame